Une douche ? Pourquoi pas...

Callum arqua un sourcil, sardonique mais amusé. Profondément intrigué, même. Des groupies, il en avait vu. Les merdeuses loin d’être majeures qui s’infiltraient dans les chambres d’hôtel pendant les tournées pour l’attendre en sous-vêtements, ou encore celles qui attendaient devant les bus en tenues légères dans l’espoir d’attraper un de ses musiciens, il connaissait. Avant Meredith,il ne s’était pas foncièrement gêné pour les faire entrer, d’ailleurs… Mais c’était loin, très loin. Et surtout, il avait quitté cet univers toxique mais divertissant, captivant mais nocif qu’était le show business. Il était à Mayfair, le règlement lui pourrissait la vie mais il le respectait, alors là, il était vaguement prit de court. Mais à peine.

Une petite blonde gracile se tenait devant lui. Elle dégageait quelque chose qu’il n’arrivait pas à cerner, mais surtout, ce qu’il remarquait, c’était que sans faire d’effort pour attirer le regard, elle y parvenait sans problème. Même vêtue de ce qui ressemblait passablement à un pyjama d’appoint, pas forcement sexy ou affriolant, sans maquillage, clairement décoiffée, elle restait de celles qui attiraient l’œil. Aussi blasé qu’il puisse être, Callum n’était tout de même pas doté de suffisamment de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que cette fille était jolie. Belle même.
Il passa outre cependant. Elle ne semblait pas gênée de la situation et cela manqua de lui faire froncer le nez.

" Ça peut aller oui. "

Retourner la question ne lui effleura pas l’esprit. Il avait tendance à se foutre royalement de ce que les gens pouvaient avoir à raconter. Surtout pour savoir qu’elle allait elle aussi bien, puisque visiblement c’était le cas. Tant qu’à faire, il préférait faire de la parole quelque chose de plus solennelle. Après tout, de là découlaient les mots qui agrémentaient ses chansons, son art. Il passa outre la jeune blonde et fit volte-face, allant se poster devant un des miroirs qui surmontaient les éviers. D’un geste vif, il passa une main dans ses cheveux un peu trop long, chassant avec une certaine brusquerie l’eau qui y stagnait et jetant une pluie de gouttelettes sur son torse fin.

Affichant un rapide rictus de douleur, il étira ses épaules et se demanda passablement d’où venaient les courbatures qui lui nouaient le dos. Il ne trouva pas et décida de s’en foutre, préférant attendre que ça passe… Attendre tout court. On était samedi matin, il n’y avait aucun cours, il aurait la paix toute la matinée, il pourrait s’isoler… Il releva la tête et croisa pendant une seconde le regard de la petite blonde.

" Alors Blondie, que fais-tu dans les douches des garçons, hormis chercher le loup ? "

Le sous-entendu était un peu gros, il savait qu’il risquait la gifle, mais après tout, il était presque intimement convaincu des mœurs légères de son interlocutrice, autant le lui faire comprendre rapidement. A nouveau il se retourna, lui faisant face alors qu’il s’appuyait contre la vasque du lavabo, faisant saillir ses muscles fins et révélant ses hanches osseuses, presque féminines quand sa serviette blanche glissa un peu.

Une lueur d’intérêt passa dans son regard sombre lorsqu’il remarqua qu’elle portait un tatouage à un emplacement presque similaire… Il esquissa un sourire très fins, presque imperceptible, attendant qu’elle réponde. Ou s’en aille. Mais il n’y croyait pas trop, sans savoir pourquoi

Le changement d'attitude était flagrant. Trop flagrant pour que quelqu'un habitué à la douleur et à la détresse ne remarque pas que quelque chose clochait. De petite allumeuse trop fière et trop bêcheuse, trop sûre d'elle pour être intéressante, la jeune femme était devenue enfant vulnérable, prostrée contre la porte, les jambes repliées et encadrées de ses bras. Pour un peu, il se serait penché pour voir si elle allait bien...

En réalité, il avait été sur le point de le faire. Il avait été déstabilisé par le changement d'attitude, un peu brusqué par la réalisation que deux minutes avant qu'elle ne tombe au sol, visiblement en proie à quelque que chose de violent, elle s'était retournée pour secouer le loquet bloqué et il s'était surprit à laisser son regard courir au creux de ses reins, vers ses fesses à peines masquées par le boxer noir qu'elle portait. Et à apprécier, aussi. Elle était svelte, carrément fine, mais les courbes graciles qui se nimbait dans les vêtements qu'elle portait lui conférait une certaine grâce, une candeur enfantine qui avait le don de l'attirer comme un papillon de nuit vers une lampe.

Il sera la mâchoire pendant un instant, attrapant les affaires qui juchaient le sol et s'éclipsant pendant un instant pour aller se changer. Il n'était pas particulièrement pudique. Peu de personnages publiques l'étaient, mais tout de même. Se retrouver totalement nu devant une fille qui ne semblait même pas majeure n'était pas l'idée du siècle... de là à ce que quelqu'un ouvre la porte au mauvais moment, il n'y avait qu'un pas, et il passerait sa vie à Mayfair. A éviter, donc.

Rapidement, il enfila son caleçon et son jean, troué aux genoux, en répondant de loin :

" Callum. Tu connais Self Inflicted, j'imagine... "

Il sortit au moment où sa voix chuta, désireux de voir la réaction de la jeune fille. Alors qu'il lui tendait son t-shirt pour qu'elle se couvre, il ne put cependant s'empêcher de remarquer la position de ses mains. Il ne connaissait que trop bien cette attitude. Bracelet épais au creux du poignet, mains crispés, doigts figés, ongles plantés dans la chaire, attitude protectrice... Ding Ding Ding, candidate au suicide par ouverture de veines.

Il ne fit aucun commentaire, se contentant de lâcher le t-shirt à l'effigie des Sex Pistols de manière à ce qu'il tombe sur les genoux de la blonde et se retourna pour attraper la bouteille de déodorant qui dépassait de son sac posé près de la vasque. Bien vite, une odeur de Black XS alla se mêler à la buée de la salle de bain.

" Enfile, histoire de ne pas être nue quand ils viendront ouvrir ce qui est en effet la seule sortie. Ca serait dommage que tu montres tes tatouages à tout le monde... "

Évitant consciencieusement de regarder ses poignets, il la fixa cependant, impassible et distant, quoi que vaguement amusé par la situation.

S'il avait dû deviner le pourquoi du comment de la présence de cette fille à Mayfair, il aurait sans doute évoqué une légère bipolarité. Une instabilité, du moins. Elle semblait lunatique, prompte aux changements massifs d'humeur. D'une seconde à l'autre, c'était comme s'il se retrouvait face à plusieurs versions de la petite blonde. Elle s'était relevée, elle avait déambuler un peu et à présent, elle lui demandait presque amicalement ce qu'il foutait là...

Il décida de ne pas chercher, remarquant juste, maintenant qu'elle était proche de lui et qu'elle flottait dans son immense t-shirt à l'effigie de la reine mère, qu'elle était maigre. Vraiment très fine. Mais cela devait être relativement naturelle, autrement, elle n'aurait pas eut de formes... Il secoua imperceptiblement la tête, conscient qu'il était entrain de la reluquer et que clairement, il n'avait pas besoin de ça à présent.

Haussant les épaules et tentant d'ignorer le fait qu'elle lui plaisait particulièrement, qu'il avait envie de passer ses doigts dans les longues mèches blondes qui encadraient son visage et qu'il voulait poser son autre main sur sa hanche, par dessus son tatouage, pour l'attirer contre lui, il se fit violence pour penser à Meredith. Il ne pouvait pas lui faire ça, il ne pouvait pas entacher la mémoire de sa petite furie rousse, pas aussi rapidement, pas avec une inconnue... Mais le crime semblait si tentant...

Il se secoua, se décollant de la vasque et traversant la pièce, ouvrant la fenêtre de sécurité qui se trouvait au dessus des douches du fond.

" L'habitude. J'aimais me lever tôt, en tournée, histoire d'être un peu seul... c'était réellement le seul moyen d'avoir la paix, alors j'ai pris le pli... "

Il tira un paquet de cigarette de la poche arrière de son jean avant d'attraper un briquet, dans celle de gauche. Machinalement, il alluma sa clope et tira une longue latte dessus, avant d'être saisit d'un élan qu'il ne se connaissait pas. Sans vraiment y penser, il tendit la cigarette vers la petite blonde, lui proposant. Et dans la même foulée, il demanda :

" Et vous, mademoiselle anonyme, que foutez-vous ici aux aurores ? "

Elle allait mal. Pas besoin d'être medecin pour le voir d'ailleurs. Elle était littéralement entrain de pêter un cable et il ne connaissait que trop bien cette sensation. Le stress, l'angoisse, cela se recoupait, il n'y avait pas vraiment de différence. Il n'avait pas la moindre idée de ce qui pouvait provoquer chez cette jeune femme une crise, mais les faits étaient là : il était planté comme un con avec une clope à la main quand elle semblait sur le point de s'écrouler.

Jetant sa cigarette dans le bac à douche encore humide, il traversa vivement la pièce et se posta derrière elle, attrapant d'un geste vif mais délicat ses cheveux blonds et les ramenant en un catogan sur sa nuque, de manière à ce qu'il ne la gène pas. Il posa sa main libre sur son front pour la soutenir, ne sachant pas vraiment si elle avait ouvert l'eau pour boire ou si c'était pour cacher les bruits de vomissement à venir. Quoi qu'il arrive, il la tenait, aussi inutile que cela puisse-être.

" Doucement, calme toi... doucement... "

Bordel qu'il se sentait con. Et totalement inutile. Il tentait de rassurer une inconnue sans savoir ce qui la tracassait et surtout, sans avoir les mots pour le faire. Il n'était pas bon à ça, pas du tout même... Une idée passa dans son crane, il pensa à la seule chose qu'il savait faire... Risque de se prendre une gifle ? Très élevé. Carrément suicidaire, en fait, mais qu'importe. Si elle était en état de le frapper, elle ne lui claquerait pas entre les doigts.

Doucement, hésitant un peu, il se pencha sur elle, approchant lentement sa bouche de l'oreille de la petite blonde dont les respirations saccadées la faisaient trembler, puis il se mit à fredonner, à chanter doucement une chanson passée et repassée mais dont les paroles magnifiques suffisaient généralement à le ramener sur terre.

" Now that I've lost everything to you, you say you wanna start something new... "

Chanter du Cat Stevens à une inconnue pour la calmer semblait particulièrement débile, surtout aux vues de la position dans laquelle ils se trouvaient. Avisant qu'elle ne semblait pas décider à vomir, il lâcha doucement son front et la forca lentement à se redresser, de manière à ensuite pouvoir la faire tourner sans la blesser.

Quand il fut fasse à elle, il murmura simplement :

" Si tu me disais ton prénom, ça pourrait aider. Je doute que les "mademoiselle" soient du meilleur effet pour calmer une crise d'angoisse... "

Il afficha un semblant de sourire, un peu désolé et penaud, ne sachant pas quoi faire et gérant mal la détresse et la douleur.

Perchée sur le rebord du lavabo, prostrée et faible, la dénommée Angeline tremblait de la tête au pied et Callum n'avait rien d'autre à faire que de la regarder, que de saisir la detresse qui se trouvait devant lui, qu'à avoir envie de l'aider. Elle semblait si fragile, si cassable, douce porcelaine dont il fallait à tout prix assurer la protection... Pour un peu, il se serait sentit chevalier... Mais c'était ridicule, il ne la connaissait ni d'Eve ni d'Adam, elle n'était rien d'autre qu'une inconnue portant un de ses t-shirts, une gosse en panique... ce dernier point faisait tout. Elle allait mal, et il se rendait compte doucement qu'il en avait assez de voir les gens autours de lui se détruire à petit feu. Il voulait la secouer, lui dire de vivre, de se calmer, de cesser ses conneries avec ses larmes de rasoir... Parce qu'il n'était pas stupide, il savait très bien ce qu'elle cachait sous son bracelet de cuir... Inutile d'avoir fait Math'Sup pour calculer qu'elle n'était pas là parce que sa vie était rose bonbon.

Presque maladroitement, alors que ça ne lui arrivait jamais, il murmura :

" Sauf que je fais mal mon boulot là, tu es frigorifiée... "

Sans lui laisser le temps de répliquer, il vida ses poches, sortant son porte-feuille et ses médiators, ses clefs, un briquet, un paquet de clopes, quelques tickets de concerts, un paquet de chewing-gum et une épingle à nourrice qu'il gardait toujours car elle avait auparavant été accroché sur le sac de Meredith. Continuant dans son idée, il saisit rapidement mais sans violence le poignet d'Angeline et alors qu'il défaisait les deux pressions qui le maintenait, révélant sa peau mutilée, il évita consciencieusement de la regarder et ajouta :

" Je sais, je me fous bien de tes excuses, j'imagine que tu as trébuché avec un verre dans les mains, ce genre de conneries... peu importe "

Il laissa tomber le bracelet dans la vasque voisine à celle qu'elle occupait, le faisant ainsi rejoindre ses propres affaires et sans attendre, il se pencha, passant un bras sous les jambes de la petite blonde et la saisissant aux épaules de l'autre pour la porter comme le veux le cliché du prince sauvant une damoiselle en détresse. Sauf qu'il n'avait rien du prince, malgré sa délicatesse soudaine et incongrue.

Il se concentra sur ce qu'il avait à faire et entra rapidement dans une cabine de douche, poussant la porte du pied et appuyant avec son dos contre le bouton déclencheur. Quand l'eau se mit à couler sur lui, il attendit qu'elle se réchauffe avant de se retourner, plaçant celle qu'il avait dans les bras sous le jet pour la réchauffer.

Pendant toute la manoeuvre, il avait regardé devant lui fixement, ne cherchant pas le contact visuel et ne voulant pas de reconnaissance. Il faisait ça simplement parce qu'elle était faible, vulnérable, et que c'était sans doute la seule chose qui pouvait encore aujourd'hui le toucher.

Un sourire amusé se posa sur les lèvres lorsqu'elle le menaça, mais il s'en départit bien vite quand elle se dégagea de l'étreinte qu'il maintenait autours d'elle, se laissant retomber sur le sol trempé et glissant du bac à douche et détachant le bras qu'elle avait auparavant passé autours de son cou pour ne pas chuter. A vrai dire, plus que la précaution dont il faisait preuve pour qu'elle reste debout, c'était une étrange sensation de manque, de frustration qui le parcourait. Il réalisa avec une certaine stupeur que non content d'avoir apprécié le contact de la jeune femme dans ses bras, il regrettait à présent qu'elle soit assez vaillante pour tenir debout seul. En un sens, être nécessaire lui avait fait du bien et à présent, il se sentait... vide.

Il n'entendit pas exactement ce qu'elle lui dit ensuite, trop occupé à se recomposer un visage impassible, un visage qui ne traduirait pas le désarroi dans lequel elle le laissait soudain. Depuis la mort de Meredith, il ne s'était autorisé à aller vers personne, et là, une inconnue débarquait dans la salle de bain qu'il occupait, un matin comme tous les autres, et bouleversait clairement sa vision des choses. Du moins, il n'en était pas certains, il était ailleurs, mais pourtant, la trace du bras d'Angeline contre sa peau le brulait presque... Certes, elle était jolie, mais il en avait vu d'autre. Avec son statut, il en avait eut des dizaines à ses pieds, déjà nues pour son bon plaisir... c'était autre chose qui la rendait attirante et désirable... sa vulnérabilité, sans doute. Un réflexe complètement machiste et ridicule, mais ô combien motivant : la protéger, de tout. Le problème, c'est qu'elle était probablement surtout à protéger de lui, les journaux le rabâchait : Callum McCoyle, plus néfaste que Pete Doherty...

Décidant de passer outre pour le moment, ramener à la réalité par le rire de la petite tornade blonde qui à présent était aussi trempée que lui pouvait l'être, il se mit à nouveau à sourire. Un vrai sourire, pas un rictus sardonique. Non, celui-ci monta jusqu'à ses yeux, les illuminant pendant une seconde alors qu'il posait son regard sur le visage brouillé de la jeune femme. Elle semblait si enfantine, si juvénile et naïve qu'elle en était foncièrement attendrissante. Et lui devenait plus con et plus mielleux de minute en minute. Il ne connaissait pas cette fille. Point final, aucune raison de se retrouver muer par un sentiment de légèreté, connerie du coup de foudre et théorie des dominos. Hors de question.

N'empèche qu'il leva les mains, les posant de façon à encadrer le visage de la jeune femme et avec ses pouces, il alla retirer doucement le maquillage noir qui coulait sur ses pommettes avant de chasser quelques unes des longues mèches blondes qui barraient sa peau diaphane. Un sourire plus discret se posa sur son visage angélique, laissant ses yeux redevenir sombre et chaotique alors qu'il déclara, profondément amusé cette fois :

" Et dire que tu voulais ménager les pauvres surveillant... Je ne t'aide pas on dirait... C'est digne d'Halloween là..."

Avant qu'elle ne puisse bouger, il déposa un rapide baiser sur son front puis, d'une main, il alla appuyer sur le bouton déclencheur pour envoyer une nouvelle salve d'eau sur la jeune femme, profitant de sa main libre pour ébouriffer ses cheveux blonds, les faisant se poser sur son visage alors qu'il se retournait pour éviter les représailles.

Il se retrouva comme un imbécile, de l'eau dégoulinant sur son visage, à nouveau bercer par la sensation de manque et de frustration. Une fois de plus, elle s'était tenue tout contre lui, et avait ensuite filé, le laissant pantelant et paumé dans un nouveau délire qu'il ne comprenait pas. Depuis Meredith, aucune fille n'avait attiré son attention et voila qu'une blonde malingre et lunatique lui faisait tourner la tête. Étrange...

Étrange également le fait qu'il s'amuse comme un gosse dans un moment pareil. Ce matin, il s'était réveillé en réalisant que l'anniversaire du suicide approchait à grand pas. Il avait été d'une humeur massacrante et à présent, il se retrouvait à jouer dans l'eau comme s'il était âgé de huit ans, en compagnie d'une charmante demoiselle en tenue légère. Si le Sun en aurait fait des choux gras, ses amis, eux, n'aurait pas reconnu Callum.

Qu'à cela ne tienne, il n'allait pas se laisser abattre par un peu de changement, de la même façon qu'il n'allait pas se laisser marcher dessus par une gamine. Façon de parler, il voulait juste lui rendre la monnaie de sa pièce, surtout quand elle le faisait marcher comme un débutant. Après tout, il lui avait suffit de lui décocher un baiser sur la joue pour qu'il avance naïvement vers le jet d'eau. Se trouvant pire qu'un labrador, il se gifla mentalement avant de passer à autre chose.

" A vrai dire, c'était mieux avant, quand tu me servais de bouclier "

Sans attendre de réaction, il passa une main dans le dos de la petite blonde, posant l'autre sur sa hanche dans un geste engageant mais pas forcément intrusif. Il lui laissait une issue, l'étau était léger. Après tout, il se faisait peut-être des idées et il imaginait peut-être le magnétisme qui se dégageait de cette aventure matinale. Quoi qu'il en soit, si elle voulait se dérober, elle en avait la possibilité.

Elle se débattit vaguement mais il remarqua que c'était plus contre l'eau que contre lui, et cela le rassura un peu. Il n'était jamais trop tard pour se prendre une baffe, bien sûr, mais il commençait -peut-être à tord- à ce dire que si elle avait voulu le frapper, elle l'aurait déjà fait depuis belle lurette.

" Allez, il te reste un peu de maquillage à rincer, Blondie "

Il fit volte-face, glissant à moitié et la tenant vaguement contre lui, de manière à ce que ce soit le visage d'Angeline qui soit exposé au jet d'eau. Il resta ainsi un instant, puis jugeant qu'il avait assez abusé, il la relâcha doucement, tournant à nouveau pour la protéger du jet quasi-bouillant, le laissant s'écraser entre ses omoplates. Il ne recula pas pour autant, la fixant sans oser bouger et réalisant alors qu'il inspirait une buée capiteuse et étouffante qu'il avait envie de l'embrasser et qu'il pouvait très facilement le faire; elle était si près...

Il scella d'ailleurs la distance, délicatement, posant tout doucement sa bouche contre celle de la jeune femme et fermant les yeux alors qu'il l'embrassait avec hésitation, l'eau chaude se mêlant sans gêne à ce baiser incongru.

Puis, comme piqué au vif, il recula, fuyant son regard. Première fois qu'il touchait quelqu'un depuis que Meredith était décédée...

Et ça lui avait plu.

Après le baiser suivit d'une fuite, Callum s'était attendu à beaucoup de chose : une gifle, une engueulade, une dérobade, un mauvais coup... Il s'était attendu à se faire jeter, d'une manière générale, et il y aurait eut matière à ce que ça se produise mais visiblement, la petite blonde ne l'entendait pas de cette oreille.

Non, au contraire même. Elle était restée interdite un moment puis avait reprit ses esprits, s'approchant de lui et passant ses bras autours de son cou, se collant contre son torse dans la manoeuvre et venant l'embrasser avec le même genre de délicatesse hésitante et maladroite que ce qu'il avait réussit à produire. C'était comme si elle y allait à tâton, comme si, à l'instar de Callum, elle ne savait pas réellement ce qu'elle faisait, ni pourquoi elle en était capable. L'idée qu'ils s'étaient bien trouvé, deux adolescents mal démoulés et gauches dans une salle de bain déserte l'effleura... Il cessa bien vite d'y penser, pris de court par la fuite subite et désagréable d'Angeline. Elle venait de rompre le baiser et même si elle se tenait toujours tout près de lui, il se sentait presque prit d'un vertige. Et il n'aimait pas spécialement ça, il préférait la sensation de quasi plénitude qui accompagnait déjà les baisers de la jeune femme... Il manqua de froncer les sourcils mais se retint quand elle parla, se concentrant sur ses mots qui faisaient de l'écho, contre les parois de la douche.

L'eau s'était arrêtée mais il était loin d'avoir froid. Ô combien loin, en effet. Il ne sentait rien d'autre que la jeune fille près de lui, la peine avait non pas disparut mais c'était amoindrie, semblant devenir supportable et pour la première fois depuis un an, il se sentait bien. Calme et vivant... presque heureux.

Il n'attendit guère, se doutant que s'il tardait trop, elle interprèterait mal et qu'il pourrait la regarder se sauver sans savoir la retenir... Délicatement, relevant ses bras, il alla attraper avec douceur le visage d'Angeline, encadrant une fois de plus sa mâchoire, et caressant doucement ses joues du bout de ses pouces, passant ensuite la pulpe de ses doigts sur ses lèvres rosés.

" Dommage, ça t'allait bien "

Un fin sourire effleura ses lèvres et il se courba un peu de manière à pouvoir poser son front contre celui de la petite blonde, ajoutant :

" Tant pis, je trouverai bien autre chose "

Et pour appuyer ses dires, il lança un nouveau baiser, un peu moins hésitant mais en aucun cas moins doux. Il prenait ses marques, mine de rien. Il n'avait aucune idée de ce qu'il faisait, il n'interprétait pas la bulle de soulagement et de quasi-félicité qui gonflait dans sa poitrine, ni le sentiment de chute qui se propageait dans son ventre alors qu'il approfondissait doucement le baiser, laissant retomber une de ses mains et la glissant avec une lenteur respectueuse et précautionneuse sous la lisière de son propre t-shirt qui, trempé, recouvrait le corps de la jeune femme. Il ne s'aventura cependant pas trop loin, se contentant d'aller recouvrir de ses doigts tièdes le tatouage qu'elle abordait, effleurant le plus tendrement possible cette peau diaphane et délicate.

La tenant toujours contre lui, il pivota légèrement et bougea de manière à pouvoir pousser le bouton qui enclenchait le jet d'eau, jetant sur eux un nouveau nuage chaud et bienfaisant.

Doucement, lui laissant quand même une échappatoire, il resserra très délicatement ses doigts et s'arrangea pour qu'elle face un pas en avant.

Angeline & Callum

Angeline frissonna quand le jeune homme passa la main sous son t-shirt et commença à caresser le pourtour de son tatouage, effleurant sa peau diaphane avec douceur. Elle posa les mains sur le torse de Callum et les remonta lentement vers son cou, qu’elle encercla de ses bras, caressant les courts cheveux de sa nuque. En réponse à son baiser, elle caressa de sa langue les lèvres du jeune homme, hésitant encore. Habituellement, l’eau chaude lui conférait le pouvoir de garder son sang-froid, de réfléchir calmement mais, c’était beaucoup moins facile quand l’homme qui se trouvait à vos côtés attisait vos désirs. Ah, le traître ! Mais, de toute façon, c’était trop tard. Toutes pensées rationnelles avaient désertés son esprit et elle ne pensait plus qu’aux lèvres de Callum contre les siennes, à ses doigts, fins et légers, qui parcouraient sa peau et à leur étreinte. Elle avança encore et se colla contre son torse. Angeline glissa ses mains dans le dos du jeune homme et se mit à mordiller sa lèvre inférieure. Elle sourit contre sa bouche et chuchota :

« Callum… Ton prénom… C’est tout ce que je sais de toi et tu me rends déjà folle… »

Puis, elle se décolla de lui et se recula de quelques pas pour se retrouver acculée contre le mur. Elle lui sourit innocemment et pointa le doigt vers lui en lui faisant signe d’approcher.

« Viens me chercher… »

Et puis, soudainement, elle plaça son index sur sa joue et mima une moue gênée.

« A moins que ce ne soit pas ce que tu souhaites… »

Sous la plaisanterie dissimulée, se cachait également une question. Elle mourrait d’envie de retourner auprès de Callum, de goûter à nouveau à ses baisers, de toucher sa peau… Mais, elle n’allait pas faire quelque chose qu’il ne voulait pas. Et puis, ce serait à lui de venir vers elle. Elle pouvait peut-être parfois passer pour une allumeuse, mais ce n’était qu’une façade. Et elle détestait à avoir à faire ce genre de comédie pour paraître ce qu’elle n’était pas, pour se protéger des hommes. Mais, Callum paraissait différent et toutes ses barrières s’écroulaient devant lui…

Un dilemme. Un putain de dilemme qui se tenait face à lui sous la forme plus que plaisante d'une jeune femme aux traits angéliques et l'allure plus qu'attirante et désirable. Il était complètement tiraillé entre l'envie de boucler cette distance qu'elle instaurait et celle de respecter ses principes... Dans sa tête embuée par le désir nouveau et perturbant qu'elle éveillait chez lui, il tentait tant bien que mal de faire le vide, cherchant un sens, une manière d'agir, une conduite à suivre... La prendre dans ses bras ou lui expliquer pourquoi il ne le faisait pas... C'était prendre le risque de la voir filer, et il n'était pas sûr de vouloir le prendre... Non, définitivement, elle lui plaisait bien trop pour ça.

Doucement, se faisant violence pour rester calme, il s'approcha le plus lentement possible d'elle et saisit avec délicatesse la main qui se trouvait au niveau de son visage de poupée de porcelaine. Avec un flegme feint mais maitrisé, il approcha méthodiquement les doigts d'Angeline de sa bouche, embrassant doucement ses phalanges avant de les presser presque tendrement dans sa paume.

" Ecoute, je... "

Il se serait bien giflé tant il se trouvait stupide, mais à vrai dire, il était hors de question qu'il foute en l'air aussi rapidement des principes qu'il maintenait dans sa vie depuis des années. Bien avant Meredith, en fait, il en avait connu d'autre mais toujours il s'était imposé une attente. Pour plusieurs raisons, évidemment. Celle qu'il donnait à la plupart des gens était que la patience avait le pouvoir d'augmenter considérablement le désir. Bien sûr, c'était vrai, mais ce n'était pas tout. Plus sérieusement, il avait besoin de repère, de sécurité... Toute sa vie, il avait été entouré de gens faux et intéressés, il ne voulait pas que ça se passe comme ça dans l'intimité, il préférait attendre d'être certain, et surtout, il ne voulait pas faire commettre d'impair à l'égard de ses partenaires. S'il s'impliquait, il le faisait pleinement, il ne comprenait pas le concept d'aventure d'un soir, ça le dégoutait... Aussi vieux je que cela puisse paraître.

" Comme tu l'as dit, tu ne connais rien de moi... première chose à savoir, c'est que je suis Straight Edge, malgré ce que les journaux disent... "

Il marqua une pause, manquant de jurer. Il n'aimait réellement pas mentionner le personnage publique dans ce genre de moment. Qu'importe, c'était trop tard. Il reprit :

" J'aurais bien cité Shakespeare en disant que "Ce bourgeon d'amour, au souffle mûrissant de l'été, sera peut-être belle fleur quand nous nous reverrons " , mais ça parait pompeux, je me contenterais de te dire que je préférerais attendre... et que je comprendrais si tu m'en veux et si tu te sauves, même si c'est la dernière chose que je veux... "

Il afficha un demi-sourire désolé, se sentant particulièrement con à chipoter de la sorte. Elle allait lui rire au nez, il le sentait venir. Anticipant, il lui lâcha la main et fit un pas en arrière, ne pouvant pas cacher décemment sa mine soudain sombre. Son estomac s'était violemment tordu sous la frustration et l'envie soudaine de la prendre dans ses bras pour la protéger et lui faire oublier ses démons...

Cédant partiellement, il avança à nouveau vers elle, déposant un baiser délicat sur ses lèvres, se fichant bien de contrer une gifle ou de se prendre un coup entre les jambes. Elle se demanderait sans doute à quoi il jouait, mais techniquement, il n'avait aucun problème à continuer de l'embrasser simplement sous l'eau. Après, si elle voulait plus tout de suite, elle aurait à aller voir ailleurs, il ne pourrait pas. C'était la première fois depuis que Meredith était décédée qu'une jeune femme suscitait son intérêt, et il comptait bien faire de ce sentiment, de cette sensation doucereuse et agréable quelque chose de durable... Du moins, si elle ne le jetait pas, ce qui n'était pas encore fait.

Il rompit le baiser et resta planté devant elle, baissant un peu la tête et lui adressant un regard inquisiteur, attendant clairement de savoir ce qu'elle avait à dire sur le sujet.

Angeline & Callum

Le regard curieux que lui lança Callum en baissant légèrement la tête la fit sourire. C’était bien la première fois qu’un homme la repoussait gentiment à cause de principes. Et elle aimait ça. Beaucoup. Elle appréciait également qu’il s’excuse. Même s’il n’avait pas vraiment besoin de le faire. De toute sa vie, elle n’avait rencontré que des personnes se faisant passer pour des mecs qu’ils n’étaient pas. Tous avaient été de vraies brutes avec elle, la considérant comme un simple élément du décor, ne la respectant en aucune occasion. Elle ferma un instant les yeux, refoulant des larmes qui menaçaient de déborder en compagnie d’un paquet de souvenirs peu agréables. Puis, reprenant quelques inspirations, soufflant longuement et aidée par la présence du jeune homme, elle parvint à se reprendre. Rivant son regard à celui de Callum, elle s’approcha lentement et posa une main sur la joue de celui-ci. Angeline esquissa un sourire.

« Pourquoi voudrais-tu que je me sauve ? »

Elle passa ses mains autour du cou de Callum et se laissa simplement aller contre lui, posant son visage contre son torse. Elle resta immobile quelques minutes avant de relever la tête vers lui et de chuchoter :

« Un mec qui cite du Shakespeare et qui préfère attendre, alors que tout les autres auraient profité de la situation, c’est quelqu’un que je respecte. Et surtout, dont je ne veux pas m’éloigner. »

Puis, après ces mots, Angeline se hissa sur la pointe des pieds et déposa ses lèvres sur celles de Callum, lui offrant un doux baiser. Puis elle se retira, tourna la tête vers le fond de la douche et tendit le bras pour appuyer sur le bouton de la douche. De nouveau, un jet d’eau sortit du pommeau et les arrosa, en une pluie chaude et décontractante. Angeline se retourna vers le jeune homme, posa ses mains sur ses épaules et l’attira vers elle, jusqu’à ce que son dos heurte le mur et que leurs corps soient collés ensemble. Et ensuite, elle l’embrassa de nouveau, avant de faire glisser sa bouche vers son oreille. Elle soupira de plaisir et murmura :

« Merci. »

Pourquoi le remerciait-elle ? Parce que, pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait étrangement bien, sereine, mais, surtout, elle se sentait belle. Quand on est trop longtemps rabaissée au rang d’objet, on finit par croire que l’on en est un. C’est à la fois humiliant et blessant, et on en perd toute confiance. Mais, aujourd’hui, en présence de Callum, c’était différent. Son masque était tombé et ce fut comme si l’ancienne Angeline, celle qui n’avait pas été brisée, était revenue. Cependant, elle le savait. Il ne fallait pas se voiler la face, ce bien-être ne durerait pas. Une fois sortie de cette cabine de douche, elle retomberait dans l’oubli et son bonheur passager s’enfuirait encore plus vite qu’il n’était venu…